Souvent cette préoccupation revient dans le discours, voire l’attente, de personnes tentées par la thérapie – J’ai souvent envie de pleurer. Je sens une colère qui s’empare de moi. Je suis envahie de tristesse, sans raison.
Elle provient de ce que l’on remarque avec raison une disproportion entre ce que nous ressentons, notre réaction excessive, et ce qui l’aura provoqué – ou plutôt, fait resurgir.
La demande sous-jacente est généralement : je souhaiterais pouvoir contrôler mes émotions.
Louable intention !
Mais, est-ce réalisable ?
L’émotion est une force qui dépasse nos capacités de maîtrise habituelles. Elle n’intéresse pas la même partie du cerveau que notre moi pensant, réfléchi, évolué. Son origine est plus archaïque, sauvage… irrépressible.
Notre réflexe est de tenter de dompter cette bête qui agit en nous comme, dans son magasin de porcelaine, le pachyderme de l’expression bien connue.
Et l’on a, parfois, toutes les peines à ne pas « se laisser emporter par l’émotion ».
Alors, que faire ?
L’émotion n’est pas mauvaise en soi
Un double danger nous guette : 1°) laisser notre émotion nous dicter notre conduite (les mots qui dépassent notre pensée, les actes irréparables perpétrés sous le coup de l’émotion etc.) et 2°) la nier.
Ces deux écueils, tels Charybde et Scylla, ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Et nous pouvons aisément tomber de l’un en l’autre.
En effet, à trop réprimer l’émotion, il arrive que l’on « pète les plombs », que la coupe étant pleine, une goutte a vite fait de mettre le feu aux poudres… C’est l’effet cocotte-minute.
L’option la plus séduisante, à tort néanmoins, est de vouloir la contrôler – autrement dit, pouvoir la nier, plus ou moins.
S’il est déjà difficile de contrôler notre comportement pour éviter que ça empire, il s’avère vain de tenter de contrôler l’émotion. L’émotion est une force qui nous pousse à agir, c’est-à-dire, ce qui nous meut, nous motive… une énergie de vie en fait !
Laissez faire !… sans se laisser faire
Une technique consiste à observer et même goûter cette émotion. Il s’agit non de s’y abandonner, mais de lâcher toute velléité de la vouloir contraindre.
Pas question, bien sûr, de donner libre cours à l’expression de celle-ci, de lui confier les rênes de nos comportements – quel parent n’a pas eu, très fugitivement bien sûr, la tentation horrible de jeter par la fenêtre l’un de ses adorables bambins qui n’a pas son pareil pour nous faire enrager au-delà du raisonnable ?
Un effort, considérable parfois (le Surmoi freudien ?), empêche de tels actes impensables – impensables, mais pas pour autant impensés !…
L’idée est en fait, dans la mesure du possible, en tenant compte du contexte – enfants à l’abri, voisins hors de portée auditive… – d’explorer toutes les sensations physiques, ressentis conflictuels, pensées, images, souvenirs etc. associés ou générés par l’émotion redoutée.
Lorsque l’on se sent « hors de soi », y revenir, reprendre contact avec soi et ne plus laisser la maison à disposition de l’intrus – je suis avec cette émotion.
Nous ne sommes pas ce que nous ressentons
Si je ressens de la colère, je ne suis pas constamment la colère.
Envisageons les émotions comme des états qui nous traversent.
Une fois l’émotion passée, nous retrouvons la maîtrise de notre fonctionnement : nous pouvons penser la tête froide, peser nos décisions, agir de façon réfléchie etc.
Lorsque nous sommes traversés par l’émotion, à peine pouvons-nous reconnaître qu’elle s’est emparé de nous – Mais non, je ne suis pas fâché(e) [ou tout autre qualificatif émotionnel, de votre choix], qu’est-ce qui te fait croire ça ? !
Une image classique est celle de l’écran de cinéma qui, une fois le film fini et la salle se rallumant, retrouve sa nature réelle sans avoir été altéré par les scènes projetées – par exemple, perforé par les balles tirées dans l’histoire…
Donc, profitons du film pour voir en toute candeur cette émotion, sans la juger. La juger serait encore une façon de la nier, c’est-à-dire la refouler dans un endroit d’où elle pourra à nouveau resurgir brusquement, tôt ou tard, sans prévenir.
Émotions, mode d’emploi
Il s’agit de la reconnaître, tout en admettant que nous sommes distinct(e) d’elle : il y a moi et cette émotion qui arrive, est là… et repart.
Oui, il y a une émotion qui me trouble. Et non, je ne m’identifie pas à elle.
Installez-vous confortablement et goûtez les sensations – sans doute peu plaisantes, c’est possible – de cette émotion passagère. L’image que j’évoque souvent est celle d’une attraction foraine, style Grand Huit ou Montagnes Russes : une fois dans la nacelle, pas question d’en sortir avant l’arrivée – on se fait peur et c’est bien le but, dans ce cas.
Laissez-la s’épuiser, telle la vague qui après le fracas plein d’écume se retire naturellement et découvre le sable, les rochers : une réalité qui était là avant elle et reste après elle.
Si ce n’est pas possible sur le moment, cherchez à vous isoler de votre entourage pour « profiter » pleinement (enfin ?) de cette expérience. Ou, dès que cela vous est possible, un peu plus tard, ré-évoquez ce qui vous a plongé(e) dans cette émotion, pour lui laisser « jouer son jeu complet » jusqu’à ce qu’elle soit passée, épuisée, dissoute.
Au moment où elle s’est présentée, vous pouvez la nommez pour la (re)connaître mieux, mettez un ou des mot(s) dessus, tel un projecteur qui épingle un visiteur furtif dans l’obscurité : là, je me sens en colère ou triste ou bafoué(e), humilié(e) etc.
De nombreux troubles et sentiments de malaise, proviennent de l’empêchement que l’on impose à l’expression de nos émotions (jugées) « négatives ».
Parfois, il est difficile de reconnaître une émotion pour telle. Cependant, l’émotion est généralement accompagnée de sensations physiques (serrement de gorge, cœur s’emballant, crispations etc.) et de pensées ou jugements, sur lesquels une attention similaire peut s’exercer. Il s’agit de les voir en toute honnêteté, sans jugement ni réticence.
Et après, récompensez-vous de cet effort, remerciez-vous de ce cadeau, de cette liberté accordée, de la manière qui vous convient : en retrouvant l’attention bienveillante de vos proches, en vous préparant un bon bol de chocolat chaud et fumant, en vous offrant quelques instants de repos bien mérité.
Une courte vidéo étant plus parlante qu’un long discours,
je vous propose de visionner ce que dit
Jacques Castermane sur la réaction émotionnelle