Je viens de découvrir un auteur, Jean-François Billeter, hier soir à la radio, qui parle, dans l’un de ses derniers ouvrages, Une autre Aurélia, d’une façon très pertinente d’un juste travail sur l’émotion, à travers sa propre expérience du deuil de sa femme.
Magistral !
Faire « un » avec l’émotion qui nous bouleverse. Une expérience à la limite de certains états de transe qui nous révèle à nous-même et à notre humanité individuelle pour nous restituer à notre humanité sociale – braver l’attitude socialement correcte de l’être en deuil en s’ouvrant à une réalité intérieure riche et boulversante.
S’accepter – dans ses douleurs, ses émotions – et découvrir notre capacité naturelle à la fraternité.
L’entrevue complète sur le site de France Inter. Ci-après, quelques morceaux choisis…
L’émotion est neutre. Elle a à voir avec le corps.
J-F. Billeter : « L’émotion est neutre. C’est une mise en mouvement général de ce que nous sommes, du corps. Ce chamboulement est neutre en lui-même. Il prend une valeur affective selon l’idée qu’on lui joint. Donc, une même émotion peut être une joie ou une grande douleur. Elle est la même mais est colorée de façon tout à fait différente selon l’idée qu’on lui joint et cela donne une prise. (…) Si je change l’idée [jointe], cela me donne une prise sur elle (…) [selon] une sorte d’acte de liberté en pleine émotion. »
Comprendre et accepter l’expérience du deuil. Être présent à l’émotion.
Extrait de Une autre Aurélia – Jean-François Billeter : « Des atmosphères alternaient. J’étais une maison dont toutes les portes étaient ouvertes, ou qui n’avait plus de portes, que les vents et les ondées traversaient, irisaient par moments. Il n’y avait plus de portes ni même de murs. Tout traversait. Je n’étais plus un être social mais un phénomène naturel. (…) J’en sortais épuisé, ne pensant plus à rien. Étais-je heureux, malheureux ? La question n’avait plus de sens. C’était une situation entièrement nouvelle. Je butais sur des difficultés jamais rencontrées. J’étais dans le dérèglement dont rêvait Rimbaud. Je l’ai subi. Je l’ai observé. Et j’ai vu comment peu à peu se sont mis en place de nouveaux réglages. J’ai assisté à l’apparition des parades par lesquelles l’activité du corps répondait à ces difficultés imprévues, aux manœuvres par lesquelles elle tentait de les intégrer. Cette épreuve a donc été l’occasion d’approfondir ma connaissance de moi-même. »
Par l’hypnose, il peut arriver de rencontrer ces phénomènes, ces expériences soulignés dans les propos de Jean-François Billeter .
Non pas introspection mais intériorisation
J-F. Billeter : « Ce n’est pas l’observation de soi. Ce qui suppose que l’objet du « soi » est déjà là. Mais, c’est l’observation de l’activité. Il m’arrivait des choses. J’étais complètement engouffré, emporté, dans cette activité. Mais je n’ai pas cessé d’observer. »
L’activité ? « Il m’arrivait des choses » ? De l’imprécision ou de l’hypnose ?
L’émotion est du passé produit dans le présent – le passé a été et sera
J-F. Billeter : « Le passé n’existe que dans l’activité dont je suis fait. Dans cette activité, il y a de la mémoire et cette mémoire produit du passé. Mais ce passé qui se produit, il se produit dans le présent. [Donc] Ce passé se produira encore. Lorsqu’on se souvient de ça et qu’on se dit : « le passé est devant moi parce qu’il va revenir », cela soulage. C’est l’une de ces manœuvres, l’une de ces opérations qui se sont mises en place et qui m’ont aidé. (…) Je ne les ai pas lues dans les livres. Ce ne sont pas des inventions intellectuelles. Ce sont des choses qui se sont produites. Et ce ne sont pas seulement des évènements singuliers, mais des mécanismes qui se sont mis en place au sein de l’activité. Et ce n’est pas moi qui les ai inventés. C’est l’activité qui les a inventés. »… Le corps, encore !